La fée et le soldat

 

 

 

Dieu se pencha hors de son trône et regarda les hommes.

— Quelle engeance ! grogna-t-il en se relevant.

Une fois de plus, les nations s’affrontaient. Les champs de bataille couvraient les continents. Des guerriers conduisaient des machines à tuer volantes, rampantes, flottantes, fouisseuses. Toute cette ferraille s’entrechoquait avec un bruit terrible. Le vacarme eût attiré l’attention de quelqu’un de plus sourd que Dieu.

Celui-ci soupira. Qu’avait-il engendré là ? Quelle colique ! Décidément, il allait écraser cette vermine. Il levait déjà le talon quand un vol d’angelots essoufflés s’abattit sur ses genoux, sur ses épaules et jusque dans sa barbe. Il oublia sa colère.

— Père, père, piaillaient les roses créatures, fais-la cesser. C’est encore la fée Pivette...

Ses ailes transparentes déployées, la fée Pivette tournait autour de Dieu comme une libellule. Il étendit son petit doigt pour qu’elle vînt s’y poser.

Il gronda :

— Tu m’avais promis de ne plus recommencer. Me voilà obligé de te punir...

Tête basse devant l’œil de Dieu, Pivette, par sa mine, s’avouait coupable.

Elle avait quitté la terre en pleine jeunesse, à l’âge de deux mille sept cent trois ans, au moment où les hommes, devenus raisonnables, avaient chassé les fées des bois et des sources. En paradis, elle habitait un petit cottage au cinquième ciel, celui des vierges, où ne poussent que des lys. Souvent, la nostalgie des fleurettes des champs venait la prendre. Elle avait essayé de transformer les lys en coquelicots et brins de muguet, mais le pouvoir de sa baguette se brisait contre la sérénité des calices hiératiques.

Un jour, un angelot vint se poser sur le bord du toit de son cottage. Il fit le dos rond au soleil, lissa ses ailes, s’ébroua d’aise. Une plume blanche vola et entra par la fenêtre. Pivette la toucha du bout de sa canne d’ivoire. La plume fleurit en pâquerette... De ce jour, la fée poursuivit les angelots pour recueillir les plumes qu’ils perdaient au vent. Elle eut sur sa fenêtre des pots de géraniums et de capucines, et bientôt un petit jardin. Elle désira un coin de forêt avec de l’ombre sur une source. Son impatience lui fit commettre des excès. Elle attrapa un angelot par une aile et entreprit de le plumer. Il poussait de grands cris et se débattait. Elle le fit taire d’un coup de baguette. Il devint un saule, creux et moussu, avec toute une famille de champignons blottis à ses pieds.

Pivette fut heureuse et surprise de l’efficacité de son geste. Dieu n’avait sans doute pas imaginé que sa petite troupe pût être l’objet de pareilles attaques. Il avait négligé de l’immuniser.

La fée récidiva, jusqu’au jour où une de ses victimes lui échappa et voleta jusqu’à Dieu de ses ailes déjà fleuries. Une plainte sortit de sa bouche en marguerite. Dieu rétablit l’angelot dans sa forme première et connut la vérité.

Il parut très fâché. Il menaça Pivette de la faire coucher six siècles au Purgatoire, ou de la mettre à tout jamais avec les vieilles filles des bonnes œuvres. Il pardonna, cependant, car il connaissait le fond du cœur de la fée, ce qu’elle ne connaissait pas elle-même. Une créature féminine ne conserve pas sa virginité pendant deux mille sept cent trois ans sans se trouver, à la fin, un peu refoulée. Si elle aimait son jardin, son bosquet ombreux, c’était parce qu’elle y retrouvait, assemblés autour d’elle en massifs de plantes vives, des garçons. Elle ne se doutait pas de cette turpitude de sa libido. Elle embrassait les roses sur les lèvres en toute innocence.

Elle avait promis de ne plus recommencer. Et voilà qu’elle reprenait sa chasse, peut-être à cause du printemps. Dieu n’eut pas de peine à reconnaître, dans un carré de laitues joufflues dont elle avait repiqué tout un nuage, les fesses de ses chérubins. A côté se trouvaient même, horreur et scandale ! trois rangs d’asperges.

Cette fois, c’était trop.

— Puisque tu regrettes tant la Terre, décida Dieu, retournes-y. Tu remonteras en Paradis le jour où tu auras été changée de fille en femme.

Elle tomba sur la terre en gouttes de rosée. C’était une nuit de juin.

Elle voulut revoir les lieux de son enfance, une forêt noire que hantaient les chasseurs. Souvent elle avait sauvé les cerfs de la poursuite des chiens. Quand le fauve, harassé, faisait face à la meute, elle passait sa main, avec un frisson de plaisir, sur les flancs suants du grand mâle. Il devenait aussitôt invisible. Les chiens hurlaient de déconvenue. Les chasseurs juraient et maudissaient les fées et ce bon Dieu d’évêque qui ne parvenait pas à débarrasser le pays de ces satanées créatures.

Pivette ne retrouva pas sa forêt. A sa place s’étendait une aire immense de ciment percée de cheminées. Sous une épaisseur de cent mètres de béton, vivait un conglomérat d’usines abritées des bombes qui fabriquaient mille tanks, deux mille avions et trois cents sous-marins à la minute.

Les sous-marins arrivaient directement à la mer par des canaux souterrains. Des tunnels amenaient les chars jusqu’au champ de bataille. Les cheminées crachaient des nuages de fumée d’encre parmi lesquels s’élevaient, grondant et pétaradant, les avions.

En vain Pivette chercha-t-elle un coin de nature paisible. Trois flottes se disputaient le dernier récif de Polynésie. Des navires-taupes se creusaient des boyaux à travers les glaces des pôles. Des autostrades grondantes d’engins se croisaient à l’équateur. Au sommet de l’Himalaya aboyait une batterie de D.C.A.

Pivette fut réduite à loger en ville. Elle élut domicile à un carrefour, sur un piédestal dont le ministre de l’Armement avait récupéré la statue. De ce poste, elle put observer la vie de la cité. Son cœur tendre s’émut de pitié et d’horreur.

La population civile se composait de vieillards et de femmes maigres. Les riches payaient très cher le pain et le lard. Les pauvres se nourrissaient de navets et de cresson. Ils allaient pieds nus, tous vêtus de la même étoffe kaki, taillée en vêtements exigus. Les femmes sans hommes aigrissaient, séchaient autant de leur solitude que des privations. Tous les dix-huit mois, un certain nombre d’entre elles, choisies d’après des règles de strict eugénisme, étaient artificiellement inséminées de germes mâles. Elles abandonnaient ces fils sans père à des forceries nationales où des éleveuses spécialisées leur faisaient brûler les étapes. Ils devenaient garçonnets en dix mois, soldats en cinq ans.

De la superstructure de la ville, il ne restait que des décombres. De temps en temps, une escadre aérienne arrivait, laissait tomber une pluie de bombes qui brassait pour la millième fois les gravats et soulevait un ouragan de poussière. De rares torpilles atteignaient le deuxième et le troisième sous-sol, tuaient quelques imprudents qui n’avaient pas voulu descendre aux abris.

L’alerte terminée, les fourmis humaines sortaient de leurs trous, s’affairaient au ravitaillement, piétinaient pendant des heures, dans l’attente du convoi volant porteur des aliments rachitiques dont le marché noir n’avait pas voulu.

Arrivés par des voies mystérieuses, viande, volailles, fruits étaient débités dans les restaurants clandestins.

Les clients de ces tavernes mystérieuses payaient pour chaque repas des prix qui eussent suffi à faire vivre vingt personnes pendant un an aux tarifs chimériques de la taxe. Les femmes de la police spéciale chargée de combattre la fraude fermaient les yeux. Pour les remercier, on leur permettait de venir sucer les os à l’office.

La fée Pivette vécut plusieurs années parmi ces insensés. Elle changea de ville et d’hémisphère, trouva partout la même misère.

Un jour, elle vit se former, après une alerte, une queue devant un soupirail. Une crémière blindée distribuait, contre tickets, douze grammes de graisse de silex. Elle n’y tint plus. Elle emplit un panier de morceaux de briques, les transforma en pains de beurre et s’en fut les distribuer.

— Du beurre ? Qu’est-ce que c’est ? dit une femme.

— Encore un ersatz.

— Ils ne savent plus quoi inventer comme saloperie.

— C’est bon. Goûtez-y, dit Pivette doucement, les larmes aux yeux.

— Où c’est que t’as pris ça ?

— Donnez-m’en deux ! Donnez-m’en trois !

— Voleuse !

— Marché noir !

— Priorité, eh ! priorité !

— C’est pas vrai, je la connais. Elle est pas enceinte, elle a un coussin sous sa jupe. Lui en donnez pas. C’est toujours pour les mêmes.

— Si tu veux pas m’en donner deux, je les prendrai bien.

— Paysanne !

— Accapareuse !

En un clin d’œil, Pivette fut renversée, déshabillée, piétinée, assommée par le flot des affamés qui retroussaient, d’envie et de haine, leurs lèvres sur leurs dents jaunes. Un petit vieux proprement raccommodé l’acheva à coups de parapluie. Elle s’était heureusement retirée de ce corps périssable, qui ne fut plus, sous les pieds des furies, qu’une petite loque, un journal froissé, trois feuilles mortes.

Elle rendit hommage à la sagesse du Tout-Puissant qui avait permis que les fées fussent chassées de la Terre. Il n’existait plus de place pour elle en cette géhenne. La magie noire des laboratoires avait remplacé leur magie bleue. Le savant transformait l’arbre fleuri en poudre à canon.

Elle désira ardemment retourner en Paradis. Il lui fallait, pour cela, trouver un homme.

Elle parcourut en vain toute la ville. La guerre prenait les adolescents avant que l’amour leur fût poussé. Elle se glissa dans le lit d’un vieillard qui lui parut encore vert. Il se récusa. Il ne mangeait pas assez de vitamines. Un autre, à qui elle se révéla sous les traits d’une fille de quinze ans, retrouva une jeunesse passagère. A l’instant qu’il allait la délivrer, les sirènes hurlèrent l’alerte. Il sauta dans son caleçon, dégringola son escalier, s’enfuit au fond de sa cave.

Son poste de T.S.F., resté ouvert, versait des chants pleins de mots d’amour. Une voix d’homme susurrait : « Toujours, amour, je t’aime, je t’attends, je te veux, baisers, étreintes, passion. » Sur les ailes des ondes, la fée se précipita vers lui. Elle trouva un obèse blanchâtre qui glapit en la voyant : « Par où est-elle entrée, cette folle ? »

Le gouvernement l’utilisait pour canaliser la sentimentalité vacante des femmes de la nation. Au moindre instant de loisir, elles écoutaient sa voix sirupeuse. De l’aube au crépuscule, et pendant toute une partie de la nuit, il versait dans leurs oreilles des déclarations molles, des serments syncopés, leur décrivait les tourments de son cœur de nougat. Sur quelques notes, quelques airs toujours les mêmes, c’étaient les mêmes mots qui servaient sans cesse. Elles ne s’en lassaient pas. Chacune habillait sa voix d’un visage, chacune prenait pour elle seule des discours douceâtres adressés à la multitude. Il recevait des tonnes de lettres à chaque courrier. Une compagnie de secrétaires munis d’appareils spéciaux triaient celles qui contenaient des mandats ou des billets de banque. Les autres étaient jetées directement à l’égout récupérateur.

C’était un homme qui n’aimait pas les femmes. Il chassa la fée à coups de mouchoir.

Pivette décida d’aller trouver les hommes où ils étaient : sur les champs de bataille. Elle choisit un garçon aux yeux de ciel, qui conduisait un char de sept cents tonnes. Seul dans cette usine de mort, il commandait à l’aide de boutons ses moteurs, ses quarante canons, ses mitrailleuses et ses lance-flammes. Nommé, six mois plus tôt, colonel de ce régiment d’acier, il ne l’avait plus quitté depuis. Assis tout en haut et à l’avant du monstre, il se nourrissait de pilules. Il dormait de temps en temps, quelques minutes, parfois une heure, sur le dossier basculé de son siège. Il avait conduit son char de victoire en victoire, laminé des divisions entières de fantassins cuirassés, percé des centaines de chars ennemis, abattu des escadrilles d’avions. Il vivait dans un bruit effrayant, au sein d’un monde de flammes et de chocs. Sa peau était devenue grise et polie comme les flancs de sa machine. Mais ses yeux demeuraient clairs. Après le combat, au milieu des cadavres d’acier fumant, il pensait à la juste cause pour laquelle il se battait, pour laquelle il avait accepté de tuer et de mourir. C’était un vétéran. Il avait seize ans.

Pivette l’accompagna, invisible, tout un jour. Elle le regarda, terrible, beau, distribuer la mort. Son visage semblait celui d’une statue de bronze. Il fonçait avec une témérité d’adolescent furieux. Ses doigts agiles frappaient sur les touches, jouaient une symphonie d’enfer.

Le soir tomba sur sa victoire. Un soleil rouge tacha de sang les ferrailles tordues. C’est alors que Pivette se révéla à son héros. Il dormait. Il rêvait qu’il était encore enfant et qu’il courait dans un pré de mai, couvert de fleurs. Leur parfum, si merveilleux et si fort, l’éveilla. Une femme était dans ses bras. De son corps venait l’odeur du printemps. Toute ronde et nue, rose et blonde, elle se blottissait contre lui et ne tenait point de place. Elle était grasse un peu, épanouie de chair. Il devinait à peine son visage dans le soir, mais il lui parut beau comme son rêve. Il promena ses mains sur les hanches, sur les cuisses de satin.

Une femme. A peine savait-il ce que c’était. Il avait eu une famille. Il se souvenait d’une mère, d’une sœur. Il les avait quittées depuis si longtemps ! Parfois, dans ses rêves brefs, il voyait leur visage, étrangement tendre, se pencher sur lui. Leur visage, ou peut-être un autre... Ses rêves étaient imprécis, mais il lui semblait que ce serait une telle joie de voir réellement cette douce figure, de la garder près de soi et de la caresser. Et voilà qu’elle était là, plus belle qu’il ne l’avait imaginée, et qu’un corps doux comme le soir frémissait sous ses mains. Il pensa que Dieu lui envoyait cette femme pour le récompenser de ses exploits. Mais il ignorait comment on en use. Il déposait sa semence, réglementairement, chaque semaine, dans un tube stérilisé, numéroté à son matricule. Une estafette motocycliste venait la recueillir pour la perpétuation de la race.

Faute d’imaginer mieux, il serra très fort, contre lui, le petit corps tiède. Il ferma les yeux, poussa un très profond soupir de bonheur. Il pensa qu’il ne pourrait jamais, jamais être plus heureux. Pivette fut émue jusqu’au fond de son âme par cette innocence. Elle rougit d’embarras et de joie, à la pensée qu’elle devrait tout lui apprendre. Mais rien ne pressait. Elle avait déjà beaucoup moins de hâte à retrouver le Paradis.

Le lendemain, exalté et triomphant, il fit une telle charpie de l’adversaire qu’il faillit décider du sort de la bataille. A la nuit tombante, la fée fut de nouveau là. Cette fois, elle s’était vêtue d’une soie légère, qui l’enveloppait comme une lumière. Dès qu’une trêve, un repos, interrompaient la lutte gigantesque, il la retrouvait près de lui. Il lui fallut peu de temps pour que la nature lui indiquât le chemin à suivre. Mais Pivette se dérobait.

Elle s’habillait de vêtements de plus en plus clos. L’amour et le désir aidant, elle se laissait dévêtir peu à peu, le souffle court, la chair brûlante. Au moment où leur passion allait les unir, elle trouvait le courage de s’arracher à ses bras, car elle savait que la minute même de leur plus grand bonheur marquerait leur séparation.

Il suffisait qu’elle passât sa main mignonne sur l’uniforme de fils d’acier, sur le casque hérissé d’antennes, sur le visage brûlé d’huile, pour que le garçon lui apparût en sa nudité d’adolescent, avec son ventre plat, ses cuisses fines et ses joues sans barbe. Il se montrait de plus en plus impatient. Dès qu’elle arrivait, il la serrait à la briser, couvrait son corps de baisers, la renversait sur le dossier de son siège. Mais s’il tentait davantage, il se trouvait seul aussitôt. La merveilleuse apparition ne consentait à demeurer que s’il promettait, sur son honneur, de se contenir.

Ainsi la petite fée et son héros souffraient-ils de la puissance même de leur passion. Pour l’apaiser, elle lui parlait du printemps, des fleurs, des oiseaux dans les arbres et d’un amour léger comme la brume de l’aube. « C’est ainsi, disait-elle, que tu dois m’aimer. C’est ainsi que je t’aime. »

Il la croyait. On croit tout quand on ne sait pas mentir. Il pensait que c’était grand-honte de la désirer ainsi. Il se reprochait ses élans. Son sang bouillait. Il allait au combat avec une ardeur décuplée. Toute la forteresse grondait comme ses tempes. Ses canons crachaient des tonnes d’obus. A chaque blindage ennemi transpercé, il sentait sa chair plus légère.

Les paroles de douceur qu’elle versait sur le brasier allumé dans le corps du soldat n’apaisaient point sa propre flamme. Le corps de trente ans qu’elle avait pris pour mieux séduire l’adolescent s’exaspérait de sa présence, de sa beauté, de sa virilité magnifique et si merveilleusement dangereuse.

Parfois il se montrait brutal. Puis il demandait pardon en pleurant. Elle l’embrassait, le berçait contre elle. Elle connaissait son tourment. Elle en mesurait la cruauté à ses propres souffrances.

Elle s’agenouilla parmi les entrailles du monstre et pria. Les larmes coulaient sur son doux visage et fleurissaient de diamants sa gorge nue, encore frémissante de caresses auxquelles elle s’était dérobée.

« Père, Père, supplia-t-elle, permets-moi d’aimer celui que j’aime et de n’être point séparée de lui à tout jamais, aie pitié de ton enfant torturée... »

Elle renifla, retint ses sanglots. Elle n’entendit que les bruits de la machine assoupie, palpitation des moteurs au ralenti, glissement lent des bielles dans l’huile, ronronnement des ventilateurs, cliquetis des roues libres, chants du vent de nuit dans l’âme des canons.

Rien ne manifesta qu’elle eût été entendue. Elle savait bien que Dieu ne peut revenir sur la parole de Dieu.

La guerre se poursuivait. Les armées en présence avaient rassemblé leurs forces pour un choc décisif. Quand l’aube parut, de tous les points de l’horizon surgirent en cohorte les engins monstrueux. La plaine trembla sous leurs chenilles jusqu’en ses profondeurs. Les avions, en couches superposées, noircirent le ciel. La bataille s’engagea. Les bombes, les obus, les balles tissèrent une épaisseur d’acier au milieu duquel palpitaient, miraculeux, quelques cœurs d’hommes. La lumière du soleil ne parvenait plus jusqu’au sol. Très loin, les foules épouvantées se bouchaient les oreilles, courbaient le dos et priaient pour leurs armées. Un volcan, secoué, toussa, cracha, gronda et sortit avec une rage terrible d’un sommeil de dix siècles. De l’autre côté du monde, l’eau des bassins se hérissait de vaguelettes.

Pivette accompagnait son héros. Il ne la voyait pas, mais il savait qu’elle était près de lui. Eperdue d’épouvante, elle multipliait les signes de croix sur le front de l’adolescent.

Il fut cerné par vingt engins. Les mâchoires crochetées, l’œil fulgurant, il cracha le feu et la mort, détruisit la moitié de ses adversaires, contraignit les autres à la fuite. Ce qui restait de l’armée ennemie rompait le combat. C’était la victoire.

La petite fée, enthousiasmée, saoule de vacarme et d’odeurs, se jeta dans ses bras. Il était plus brûlant que ses canons. Il suait, haletait. Il sentait la poudre et le fauve. Il lui plia les reins dans ses mains de fer. Elle ferma les yeux. Ah ! que le destin s’accomplisse...

Trente chars revenus firent tout à coup converger leurs feux sur la forteresse du guerrier distrait. Sur les murs de métal sonnèrent tous les tonnerres de Jupiter. Il n’entendit qu’un chant de douceur infinie, que le corps menu chantait sous son corps.

Une escadrille piqua sur la cible immobile, lui jeta un chapelet de bombes de trente tonnes, puis un autre, un autre encore. Une explosion formidable lança des débris jusqu’au bleu du ciel. Un canon de dix mille kilos retomba dans une île de l’Océan. Du guerrier, de ses armes et de sa machine orgueilleuse, il ne resta, très exactement, plus rien.

Et la fée Pivette connut que Dieu l’avait exaucée lorsqu’elle se trouva transportée, d’un seul coup, avec son héros, au septième ciel.